Client mystère et concurrence déloyale
Publié le :
06/01/2022
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Le « client mystère » est un enquêteur rémunéré par une entreprise pour jouer le rôle d’un client auprès d’autres sociétés afin de récolter des informations sur la concurrence. Si le recours à cette technique est légalement autorisé, notamment pour dénoncer des pratiques anticoncurrentielles, la Cour de cassation rappelle dans deux récentes décisions le principe de loyauté dans l’administration de la preuve par ce procédé.
En l’espèce, un syndicat d’opticien (l’Union des opticiens (UDO) devenue le Rassemblement des Opticiens de France (ROF)) décide d’envoyer plusieurs clients mystères, par l’intermédiaire d’une société spécialisée dans l’étude et les visites mystères (Qualivox), chez des professionnels du secteur afin de vérifier leurs pratiques. Or, il s’avère que deux entreprises (Naggabo située à Lyon, et IMD Optic localisée à Paris) réalisent des fraudes aux mutuelles, en reportant le prix des montures sur le prix des verres, car ceux-ci sont mieux remboursés.
Le syndicat saisit la justice pour faire cesser ces pratiques frauduleuses et réclamer l’allocation de dommages et intérêts, mais voit ses demandes rejetées par les Cours d’appel de Lyon et de Paris.
Les juges du fond estiment que les attestations fournies par les clients mystères, et versées à titre probatoire dans le dossier pour dénoncer les fraudes des opticiens fautifs, ont été obtenues par « un stratagème caractérisé par le recours à un tiers au statut non défini pour une mise en scène ».
En l’espèce, les clients mystères ont été mandatés et rémunérés pour exécuter un « scénario non-réel », dont le déroulement leur a été précisé par la société recruteuse Qualivox.
Les juridictions du second degré considèrent comme obtenues de manière déloyale, et décident de les écarter, conformément à l’article 9 du Code de procédure civile et à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Le syndicat forme un pourvoi en cassation. Il reproche aux deux arrêts attaqués d’avoir déduit de la seule rémunération des clients mystères par la société mandataire un défaut de loyauté, et d’avoir retenu ce défaut de loyauté alors que les clients mystères n’ont pas provoqué la commission de l’infraction par les opticiens fraudeurs.
Enfin, le demandeur estime une violation des textes précités par les juges du fond, qui ont écarté ces preuves sans avoir vérifié « si la pratique des "visites mystères" dans le cadre desquelles avaient été établies les attestations en cause ne constituait pas le seul moyen pour le syndicat de rapporter la preuve d'éventuelles fraudes aux mutuelles par le biais de falsifications de factures ».
La Cour de cassation déboute le syndicat de ses demandes sur les deux arrêts attaqués, aux motifs des textes susvisés, rappelant dans un premier temps que « la preuve obtenue par un stratagème se caractérisant par un montage, une mise en scène, une opération clandestine, est déloyale »,
Dans un second temps, elle considère que les faits sont souverainement appréciés par les juges du fond, dont il résulte que « le syndicat a eu recours à un stratagème consistant à faire appel aux services de tiers rémunérés pour une mise en scène de nature à faire douter de la neutralité de leur comportement à l'égard » des parties adverses, soit les sociétés Nagabbo et IMD Optic.
La Haute juridiction valide les deux décisions de second degré, estimant que les attestations « avaient été obtenues de manière déloyale et étaient donc [bien] irrecevables ».
La Cour rejette le pourvoi.
Références de l’arrêt : Cass. com., 10 novembre 2021, n°20-14.669 et n°20-14.670