BAUX COMMERCIAUX: Actualité du 26/03/2020
I / MESURES EXCEPTIONNELLES
- Mesures gouvernementales mises en place
Dans son allocution télévisée du 16 mars 2020, le Président de la République a annoncé que les loyers des entreprises, impactées par l’épidémie de Covid-19, « devront être suspendus ».
L’Ordonnance n° 2020-316 en date du 25 mars 2020 permet une suspension de paiement des loyers, en prévoyant que les entreprises susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux.
Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée.
Les entreprises susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité seraient les commerçants, artisans, professions libérales et autres agents économiques, quel que soit leur statut (société, entrepreneur individuel, association…) et leur régime fiscal et social (y compris micro-entrepreneurs), ayant :
- un effectif inférieur ou égal à 10 salariés ;
- un chiffre d’affaires sur le dernier exercice clos inférieur à 1 000 000€ ;
- un bénéfice imposable inférieur à 60 000 €.
Leur activité devrait avoir débutée avant le 1er février 2020 et il ne doit pas y avoir eu de déclaration de cessation de paiement avant le 1er mars 2020.
En outre, ces entreprises devraient :
- soit avoir fait l’objet d’une fermeture administrative
- soit avoir subi une perte de 70 % de chiffre d’affaires en mars 2020 par rapport à mars 2019
Un décret confirmant ces conditions de bénéfice du fonds de solidarité est en cours.
- Cas particuliers des bailleurs institutionnels
Concernant les commerces situés dans les centres commerciaux, dès le 16 mars 2020, une organisation professionnelle du secteur, le Conseil National des Centres Commerciaux (CNCC), a recommandé à ses adhérents (bailleurs) de prendre, à titre exceptionnel, les mesures suivantes :
- mensualisation des loyers et charges facturés au titre du deuxième trimestre 2020 ;
- suspension temporaire de la mise en recouvrement des loyers et charges du mois d’avril, dans l’attente des décisions qui seront prises par le gouvernement.
De son côté, l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui regroupe 660 opérateurs Hlm à travers ses fédérations, a émis la recommandation suivante concernant les locaux commerciaux de proximité, situés en pieds d’immeubles, loués par les organismes Hlm. Les organismes « pourront, selon la situation des commerçants locataires, suspendre le paiement des loyers des commerçants qui sont contraints de fermer conformément aux mesures gouvernementales » (USH, communiqué du 15.03.2020).
Pour les entreprises n’étant concernées ni par les mesures gouvernementales, ni par celles prises par les bailleurs institutionnels, nous ne pouvons aujourd’hui que nous appuyer sur les règles juridiques du droit des contrats.
II / OUTILS JURIDIQUES CONTRACTUELS EXISTANTS
- L’exception d’inexécution
Cette règle peut s’appliquer pour les entreprises concernées par une interdiction d’ouvrir leur local commercial (tel est le cas des établissements recevant du public, listés à l’article 1 de l’Arrêté en date du 14 mars 2020, dits « non indispensables à la vie du pays »).
En effet, juridiquement, dans un tel cas, le bailleur n’est plus en mesure de satisfaire à son obligation de délivrance.
Le preneur peut alors faire valoir l’exception d’inexécution de l’article 1220 du Code civil, suivant lequel une « partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle », cette suspension devant « être notifiée dans les meilleurs délais ».
Le locataire qui se trouve dans ce cas doit ainsi notifier par écrit au bailleur qu’il ne paiera pas les loyers pendant la période d’interdiction d’activité, en s’appuyant sur ce texte et éventuellement sur la force majeure (v. infra – première hypothèse).
Il est toutefois fortement recommandé de se conformer à l’éventuel processus décrit dans le bail concernant l’exception d’inexécution.
Un avenant au bail commercial constatant l’accord des parties est vivement préconisé.
- La force majeure
L’article 1218 du Code civil dispose que :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur [locataire], qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités pas des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur [locataire].
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».
La qualification de force majeure sera toujours soumise à l’appréciation souveraine des juges français.
En vertu de ce texte, la force majeure est caractérisée lorsque l’événement survenu était imprévisible, irrésistible et extérieur.
La condition d’extériorité n’est pas en débat dans la mesure où le débiteur n’est pas à l’origine de l’épidémie. La condition d’imprévisibilité ne semble pas non plus présenter de difficulté particulière : dès lors que la conclusion du contrat est antérieure à la survenance de l’épidémie, les parties ne pouvaient la prévoir, en tout cas pas dans ses effets actuels.
C’est davantage le critère d’irrésistibilité qui pose question. Pour vérifier si cette condition est validée, deux situations sont à distinguer :
– Première hypothèse : Un arrêté a interdit l’ouverture d’un local commercial exploité en vertu d’un bail en raison de sa destination.
Comme indiqué supra, dans un tel cas, le bailleur n’est plus en mesure de satisfaire à son obligation de délivrance en raison d’un évènement de force majeure qui aura pour effet de suspendre l’exécution du contrat par les parties.
Le locataire qui se trouve dans la première hypothèse doit ainsi notifier par écrit au bailleur qu’il ne paiera pas les loyers pendant la période d’interdiction d’activité, en s’appuyant sur la règlementation relative à la force majeure et éventuellement sur celui de l’exception d’inexécution (v. supra).
Il est toutefois fortement recommandé de se conformer à l’éventuel processus décrit dans le bail en cas de force majeure.
Un avenant au bail commercial constatant l’accord des parties est vivement préconisé.
– Seconde hypothèse : en raison d’une baisse de son chiffre d’affaires due à la survenance de l’épidémie de coronavirus, le preneur à bail commercial ne peut plus assurer le paiement des loyers, mais il n’est pas contraint de suspendre son activité.
Cette situation est plus délicate pour le preneur puisque, d’une part, le bailleur respecte bien son obligation de délivrance et, d’autre part, les juges peinent à admettre la force majeure pour justifier l’inexécution d’une obligation monétaire.
En conséquence, le preneur à bail pourrait être déchargé de son obligation de payer les loyers seulement si ce paiement a été rendu impossible par la survenance de l’épidémie de coronavirus. Au contraire, lorsque l’exécution de son obligation de payer le loyer est seulement plus difficile, il ne pourra pas bénéficier de la force majeure.
Pour les entreprises se trouvant dans une situation de disparition drastique de chiffre d’affaires, il est donc recommandé de notifier à leur bailleur par écrit la suspension des loyers sur le fondement de la force majeure, dans le respect du processus décrit, le cas échéant, au bail, en documentant sérieusement sur le plan comptable et financier, l’impossibilité (et pas seulement la difficulté) de régler le loyer pendant la période de confinement.
Pour les entreprises ne rencontrant « qu’une difficulté » au règlement des loyers, il est toujours possible de vous rapprocher de leur bailleur pour trouver un accord sur un rééchelonnement du loyer, mais le bailleur ne pourra a priori être contraint de l’accorder.
Dans tous les cas, un avenant au bail commercial constatant l’accord des parties est vivement préconisé.
Par ailleurs, il est recommandé, en cas de réception d’un commandement de payer visant la clause résolutoire adressé par le bailleur – mais cela paraît improbable car les huissiers ne délivrent désormais les actes qu’au compte-gouttes – de saisir le juge des référés pour obtenir au minimum et en urgence le report de l’exigibilité du loyer au visa de l’article 1343-5 du Code civil. En effet, le juge peut non seulement échelonner une dette au visa de cet article mais également la reporter, dans la limite de 24 mois.
- L’imprévision
L’article 1195 du Code civil prévoit que les parties peuvent renégocier leur contrat lorsqu’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie.
En cas d’échec dans la renégociation, les parties peuvent décider de résoudre le contrat ou de soumettre ce contrat au juge, qui procédera à son adaptation.
Cette disposition pourrait parfaitement s’appliquer à l’épidémie de coronavirus mais cela suppose que le bail ait été conclu ou renouvelé postérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte, soit à compter du 1er octobre 2016, et que son application n’ait pas été écartée dans le bail.
Par ailleurs, tant que le juge ne s’est pas prononcé, les parties sont tenues d’appliquer le contrat dans toutes ses dispositions. Les tribunaux étant eux-mêmes fermés en raison du coronavirus, il n’est pas certain que le recours au juge au visa de l’article 1195 constitue la mesure la plus appropriée à ce stade.
Historique
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